Ce matin est un grand jour, je vais atteindre un deuxième point de passage de mon périple. La nuit a été parfaite dans la grange, tout juste réveillé par le chant du coq et les hennissements des chevaux. J’avale les brioches que Paula la propriétaire des lieux m’a données hier soir avec un peu de lait. En regardant la carte, je sais déjà que ça ne va pas être simple puisque je n’ai qu’une autoroute pour atteindre la pointe. Mais chaque instant suffit à sa peine, je verrai de quoi il retourne sur place. Le soleil passe au dessus de la crête, c’est l’heure pour moi de décoller. Je laisse un mot de remerciement à Miguel et Paula, puis entame la descente de 10 km vers Algéciras. La vue sur la baie et la ville nichée au creux de la montagne suffit à me réchauffer parce que la température est plutôt fraîche. Algéciras n’a rien de particulier à m’offrir mis à part ses raffineries sur le port et sa zone commerciale immense (incluant Carrefour, Décathlon s’il vous plait). J’arrive à peu près à m’extraire du centre ville en longeant la côte, c’est toujours ça de gagné. Mais là, il faut bien se rendre à l’évidence, face à moi ne se présente que cette maudite quatre voies. En empruntant des voies de service, j’arrive à faire 3 km mais au bout de la zone industrielle je suis face à un mur. Je trouve finalement quelques bonnes âmes qui me confirment qu’il s’agit bien de l’unique route pour rejoindre La Linéa et Gibraltar. Je suis dubitatif. Puis je rencontre ce moniteur d’auto école qui m’indique que la 4 voies contient une « carril bicy » (piste cyclable). Les renseignements des professionnels de la route sont toujours fiables. Je m’engage donc sur l’échangeur : oui il y a bien des panneaux pour les cyclistes. Et oui il y a une sorte de piste cyclable qui n’est n’y plus ni moins que la bande d’arrêt d’urgence. 10 km à serrer les fesses et à maintenir fermement le cap quand des camions me doublent pour ne pas me retrouver contre les barrières de sécurité. Galère mais km par km, camions après camion, échangeurs après échangeurs, j’en arriverai à bout sans trop de problèmes. J’atteins La Linéa, puis descends plein sud direction Gibraltar. Le roc se présente enfin à l’horizon. Pas étonnant que l’Espagne n’ait jamais réussi à reprendre ce bout de terre aux Anglais …Une file de 500m de voitures que je remonte sans trop comprendre et finalement arrive le poste frontière. C’était donc ça. Je réalise que je peux ajouter un pays à la liste de ceux que je traverse : le Royaume-Uni. Le douanier ne me regarde même pas. Me voilà dans un autre monde : les plaques d’immatriculation britanniques (siglées GBZ), le « Look Left » à chaque passage clouté et même des Bobbies ! Seul regret, ici on roule à droite… La route longe la côte à flanc de falaise autour du roc. Je garde cap au Sud et suit les panneaux indiquant cet « Europa Point » qui tarde à venir. Une dernière côte et le voilà enfin ! Le phare ! Le bout du chemin ! Je descends doucement en admirant la vue sur Algeciras en face et sur cette côte africaine qui paraît si proche et si inaccessible à la fois. Le moment est intense. Difficile à décrire, un mélange de satisfaction du devoir accompli et de nostalgie. Tous ces kilomètres avalés pour arriver ici. Mais aussi une pointe de déception, je ne peux pas le cacher. Le site est dans un état de délabrement assez pitoyable. Il y a bien ce phare blanc et rouge qui donne un peu de relief à ce paysage, mais l’endroit ressemble plus à un terrain vague qu’à un site d’exception. Des blocs de béton jonchent le sol de graviers mal stabilisé, une table d’orientation tagguée et prête à s’effondrer et les tankers partout dans la baie. Bien sur, je ne m’attendais pas à ce que l’on me tire un feu d’artifice, mais un peu de solennité n’aurait rien gâché… Je prends quelques photos, me restaure, me repose. Et je repars sans laisser la moindre trace, comme si je n’étais jamais venu. Peut-être aurais-je préféré ne jamais arriver et garder cet idéal au fond de mon esprit… Je passe la frontière dans l’autre sens, passeport à la main, puis fais une petite sieste dans le parc de La Linea. Je m’extrais de la métropole, boussole à la main, vers le Nord cette fois. Plus besoin de pencher la tête en regardant la carte pour savoir si je tourne à droite ou à gauche : voilà ce qui me fait sourire. La route qui longe la côte est assez jolie, mais est un peu trop touristique pour me plaire complètement. Alors je roule sans calculer comme pour exorciser cette blessure qui me dégoûte un peu. A 15h je suis à Manilva. J’ai dépassé Sotogrande, la ville interdite, dont les entrées sont gardées par des barrières. Impossible d’entrer si l’on est pas résidant. Le summum de la paranoïa du touriste : une ville privée… A Manilva, je m’arrête dans un cyber-café pour vérifier ce que je crains de longue date : il n’y a que l’autoroute pour longer la côte après Estepona. En zoomant au maximum, je me rends compte qu’il y a bien une possibilité, mais il faut slalomer dans toutes ces zones urbaines pendant 70km… Autrement dit, pas la peine, c’est trop compliqué. Et puis la côte ne m’enchante pas. C’est décidé, je rentre dans les terres pour rejoindre. Cela implique une grosse semaine de montagne et des cols au-delà des 1000m, mais ai-je vraiment le choix ? Je monte vers l’ancien village, un peu en retrait dans les terres, trouve une connexion internet gratuite et un abri pour la nuit. En m’endormant, je ne sais pas trop ce que ce choix va impliquer. Nous verrons bien, demain est un autre jour.
17 nov. 2009
Gibraltar Punta de Europa
Ce matin est un grand jour, je vais atteindre un deuxième point de passage de mon périple. La nuit a été parfaite dans la grange, tout juste réveillé par le chant du coq et les hennissements des chevaux. J’avale les brioches que Paula la propriétaire des lieux m’a données hier soir avec un peu de lait. En regardant la carte, je sais déjà que ça ne va pas être simple puisque je n’ai qu’une autoroute pour atteindre la pointe. Mais chaque instant suffit à sa peine, je verrai de quoi il retourne sur place. Le soleil passe au dessus de la crête, c’est l’heure pour moi de décoller. Je laisse un mot de remerciement à Miguel et Paula, puis entame la descente de 10 km vers Algéciras. La vue sur la baie et la ville nichée au creux de la montagne suffit à me réchauffer parce que la température est plutôt fraîche. Algéciras n’a rien de particulier à m’offrir mis à part ses raffineries sur le port et sa zone commerciale immense (incluant Carrefour, Décathlon s’il vous plait). J’arrive à peu près à m’extraire du centre ville en longeant la côte, c’est toujours ça de gagné. Mais là, il faut bien se rendre à l’évidence, face à moi ne se présente que cette maudite quatre voies. En empruntant des voies de service, j’arrive à faire 3 km mais au bout de la zone industrielle je suis face à un mur. Je trouve finalement quelques bonnes âmes qui me confirment qu’il s’agit bien de l’unique route pour rejoindre La Linéa et Gibraltar. Je suis dubitatif. Puis je rencontre ce moniteur d’auto école qui m’indique que la 4 voies contient une « carril bicy » (piste cyclable). Les renseignements des professionnels de la route sont toujours fiables. Je m’engage donc sur l’échangeur : oui il y a bien des panneaux pour les cyclistes. Et oui il y a une sorte de piste cyclable qui n’est n’y plus ni moins que la bande d’arrêt d’urgence. 10 km à serrer les fesses et à maintenir fermement le cap quand des camions me doublent pour ne pas me retrouver contre les barrières de sécurité. Galère mais km par km, camions après camion, échangeurs après échangeurs, j’en arriverai à bout sans trop de problèmes. J’atteins La Linéa, puis descends plein sud direction Gibraltar. Le roc se présente enfin à l’horizon. Pas étonnant que l’Espagne n’ait jamais réussi à reprendre ce bout de terre aux Anglais …Une file de 500m de voitures que je remonte sans trop comprendre et finalement arrive le poste frontière. C’était donc ça. Je réalise que je peux ajouter un pays à la liste de ceux que je traverse : le Royaume-Uni. Le douanier ne me regarde même pas. Me voilà dans un autre monde : les plaques d’immatriculation britanniques (siglées GBZ), le « Look Left » à chaque passage clouté et même des Bobbies ! Seul regret, ici on roule à droite… La route longe la côte à flanc de falaise autour du roc. Je garde cap au Sud et suit les panneaux indiquant cet « Europa Point » qui tarde à venir. Une dernière côte et le voilà enfin ! Le phare ! Le bout du chemin ! Je descends doucement en admirant la vue sur Algeciras en face et sur cette côte africaine qui paraît si proche et si inaccessible à la fois. Le moment est intense. Difficile à décrire, un mélange de satisfaction du devoir accompli et de nostalgie. Tous ces kilomètres avalés pour arriver ici. Mais aussi une pointe de déception, je ne peux pas le cacher. Le site est dans un état de délabrement assez pitoyable. Il y a bien ce phare blanc et rouge qui donne un peu de relief à ce paysage, mais l’endroit ressemble plus à un terrain vague qu’à un site d’exception. Des blocs de béton jonchent le sol de graviers mal stabilisé, une table d’orientation tagguée et prête à s’effondrer et les tankers partout dans la baie. Bien sur, je ne m’attendais pas à ce que l’on me tire un feu d’artifice, mais un peu de solennité n’aurait rien gâché… Je prends quelques photos, me restaure, me repose. Et je repars sans laisser la moindre trace, comme si je n’étais jamais venu. Peut-être aurais-je préféré ne jamais arriver et garder cet idéal au fond de mon esprit… Je passe la frontière dans l’autre sens, passeport à la main, puis fais une petite sieste dans le parc de La Linea. Je m’extrais de la métropole, boussole à la main, vers le Nord cette fois. Plus besoin de pencher la tête en regardant la carte pour savoir si je tourne à droite ou à gauche : voilà ce qui me fait sourire. La route qui longe la côte est assez jolie, mais est un peu trop touristique pour me plaire complètement. Alors je roule sans calculer comme pour exorciser cette blessure qui me dégoûte un peu. A 15h je suis à Manilva. J’ai dépassé Sotogrande, la ville interdite, dont les entrées sont gardées par des barrières. Impossible d’entrer si l’on est pas résidant. Le summum de la paranoïa du touriste : une ville privée… A Manilva, je m’arrête dans un cyber-café pour vérifier ce que je crains de longue date : il n’y a que l’autoroute pour longer la côte après Estepona. En zoomant au maximum, je me rends compte qu’il y a bien une possibilité, mais il faut slalomer dans toutes ces zones urbaines pendant 70km… Autrement dit, pas la peine, c’est trop compliqué. Et puis la côte ne m’enchante pas. C’est décidé, je rentre dans les terres pour rejoindre. Cela implique une grosse semaine de montagne et des cols au-delà des 1000m, mais ai-je vraiment le choix ? Je monte vers l’ancien village, un peu en retrait dans les terres, trouve une connexion internet gratuite et un abri pour la nuit. En m’endormant, je ne sais pas trop ce que ce choix va impliquer. Nous verrons bien, demain est un autre jour.
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06 - Espagne suite
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La vie, c'est comme une bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l'équilibre.
Albert Einstein.
La jeunesse est une victoire du goût de l'aventure sur l'amour du confort.
Douglas MacArthur.
C’est la contemplation silencieuse des atlas, à plat ventre sur le tapis, entre dix et treize ans, qui donne ainsi l’envie de tout planter là. Songez à des régions comme le Banat, la Caspienne, le Cachemire, aux musiques qui y résonnent, aux regards qu’on y croise, aux idées qui vous y attendent… Lorsque le désir résiste aux premières atteintes du bon sens, on lui cherche des raisons. Et on en trouve qui ne valent rien. La vérité, c’est qu’on ne sait comment nommer ce qui vous pousse. Quelque chose en vous grandit et détache les amarres, jusqu’au jour où, pas trop sûr de soi, on s’en va pour de bon.
Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt, c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait.
Nicolas Bouvier.
Albert Einstein.
La jeunesse est une victoire du goût de l'aventure sur l'amour du confort.
Douglas MacArthur.
C’est la contemplation silencieuse des atlas, à plat ventre sur le tapis, entre dix et treize ans, qui donne ainsi l’envie de tout planter là. Songez à des régions comme le Banat, la Caspienne, le Cachemire, aux musiques qui y résonnent, aux regards qu’on y croise, aux idées qui vous y attendent… Lorsque le désir résiste aux premières atteintes du bon sens, on lui cherche des raisons. Et on en trouve qui ne valent rien. La vérité, c’est qu’on ne sait comment nommer ce qui vous pousse. Quelque chose en vous grandit et détache les amarres, jusqu’au jour où, pas trop sûr de soi, on s’en va pour de bon.
Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt, c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait.
Nicolas Bouvier.
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